Vers la sobriété volontaire et heureuse !
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Vers la sobriété volontaire et heureuse !



Compte tenu de ses majestueuses proportions et de notre petitesse, il est difficile d’imaginer une limite à ce que notre planète peut nous offrir. Et pourtant, limite il y a... De plus, le système en place induit un déséquilibre entre les plus nantis et les plus pauvres. Le choix de l’auto-limitation semble donc une solution pleine de sagesse...



La réflexion autour d’un art de vivre plus simple n’est pas nouvelle. On trouve déjà des traces d’une forme de simplicité volontaire chez les stoïciens, les cyniques et, surtout, chez Épicure, il y a près de 2.300 ans ! Ce dernier procède, en effet, à une critique approfondie des besoins, qui ressemble fort à celle proposée par la simplicité volontaire. Sa pensée, ainsi que celle des cyniques, nous invite à discerner le nécessaire du superflu, le naturel de l’artificiel et prône un retour vers la simplicité.
Plus tard, en Occident, les communautés monastiques furent les premières organisations de vie à choisir volontairement la frugalité et à pratiquer l’autosuffisance, tout comme les premiers Esséniens ou Saint-François d’Assise, considérés comme des modèles de sobriété. En Orient, on trouve également de nombreux modes de vie [hindouisme, bouddhisme] prônant la simplicité. La vie de Gandhi en est un exemple éloquent.

L’origine du terme
Les mots «simplicité volontaire» [voluntary simplicity] ont été utilisés pour la première fois en 1936, par Richard Gregg, un disciple de Gandhi, dans un article publié pour un journal indien où il décrivait les grands principes fondateurs de ce concept. Plus tard, en 1977, Duane Elgin reprend le flambeau en publiant dans une revue américaine sa version de cette philosophie de vie. Elle écrira ensuite un livre en 1981, «Voluntary simplicity», qui entraînera la naissance du premier mouvement en réaction à la société consumériste américaine.
Quelques années plus tard, au Québec, Serge Mongeau prend connaissance des écrits d’Elgin qui rejoignent sa propre analyse de la société. Pour ce pionnier québécois, la simplicité volontaire propose des voies d’actions qui permettent de progresser vers «une société où les humains vivraient en harmonie entre eux et avec la nature. […] d’abolir la soumission à l’économie pour nous donner une société qui favorise le bien-être complet de tous ses membres».
En 2002, le professeur canadien Mark A. Burch présente dans «La voie de la simplicité, pour soi et la planète», la simplicité volontaire [SV] comme la source d’une nouvelle culture, parallèle à la société de consommation qui est axée sur l’accumulation matérielle, la recherche du pouvoir social et la compétition. Bref, une philosophie qui propose «une toute autre attitude à l’égard de la vie, des autres et du monde».

Moins d’avoir, plus d’être
Cette philosophie de vie tient donc compte des grandes questions contemporaines : si nous savons que l’argent ne fait pas le bonheur, pourquoi passons- nous notre vie à la perdre pour en gagner le plus possible ? Pourquoi continuer à consommer autant alors que ce comportement a des effets néfastes sur l’environnement ?
La simplicité volontaire ou sobriété heureuse répond à ces questions en proposant un mode de vie consistant à réduire notre consommation, ainsi que ses impacts, en vue de mener une vie heureuse, puisque davantage centrée sur des valeurs essentielles.

Seule une définition multi-facettes de la SV peut refléter sa richesse et la multiplicité de ses formes :
- une façon de vivre qui cherche à être moins dépendante de l’argent et de la vitesse, et moins gourmande des ressources de la planète ;
- la découverte que nous pouvons vivre mieux avec moins ;
- un processus individualisé pour alléger notre vie de tout ce qui l’encombre ;
- un recours plus grand à des moyens collectifs et communautaires pour répondre à nos besoins et donc un effort pour le développement d’une plus grande solidarité ;
- le choix de privilégier l’être plutôt que l’avoir, le «assez» plutôt que le «plus», les relations humaines plutôt que les biens matériels, le temps libéré plutôt que le compte en banque, le partage plutôt que l’accaparement, la communauté plutôt que l’individualisme, la participation citoyenne active plutôt que la consommation marchande passive ;
- la volonté d’une plus grande équité entre les individus et les peuples dans le respect de la nature et de ses capacités pour les générations à venir ;
- un courant social important qui tente de répondre à des problèmes de société de plus en plus pressants [course folle de la vie moderne, endettement excessif, insatisfaction malgré une consommation débridée, épuisement professionnel, gaspillage et épuisement des ressources naturelles, désintégration du tissu social, …].




Auto-motivation & groupes de soutien
Dès que l’on a saisi l’urgente nécessité d’opter vers plus de sobriété et de simplicité, vient la question du passage de la théorie à la pratique. Il n’y a évidemment pas de route toute tracée, ni de mode d’emploi étape par étape. Nous sommes invités à suivre notre propre chemin, à notre rythme et en fonction de qui nous sommes et de nos objectifs. Tout le monde n’est pas prêt à devenir un «décroissant» pur et dur du jour au lendemain ! Et ce n’est d’ailleurs pas l’objectif qui, d’après le Réseau Québecois pour la SV serait davantage «la recherche d’un mode de vie propice à l’amour et à l’épanouissement de la vie».
Une belle invitation à quitter l’aridité désertique du mirage de la société de consommation pour rejoindre l’abondance fertile de l’oasis des valeurs essentielles !
Evidemment, cette recherche et cet engagement personnel découlent souvent de motivations très différentes, telles que les valeurs familiales, éthiques, économiques, communautaires, spirituelles et/ou écologiques.
Plus concrètement, on pourrait dire que dès que nous commençons à réfléchir avant de faire nos achats, à trier, recycler et cheminer vers l’autosuffisance, que nous développons des valeurs non-matérialistes et accordons une importance à la protection de l’environnement nous sommes, à notre insu ou non, engagés sur le chemin de la simplicité volontaire ! Où que l’on commence, l’important c’est le premier pas. Et chaque nouveau pas entraîne inévitablement le suivant… Ceci dit, ce cheminement est parfois truffé d’embûches et il n’est pas toujours facile de le vivre en solitaire [le conjoint, la famille ou les amis ne sont pas toujours compréhensifs…]. C’est pourquoi des groupes locaux ont commencé à se créer afin de soutenir les démarches individuelles. D’abord lancé au Québec, le concept a ensuite essaimé dans de nombreux pays. En Belgique, c’est l’association Les Amis de la Terre qui s’est proposée de porter le flambeau en devenant pôle-ressource pour les groupes de SV.
Les participants des groupes locaux de SV se réunissent, en général une fois par mois, pour s’aider dans leurs choix quotidiens à appliquer les principes qui favorisent le respect de l’environnement, de la santé, du partage, de la solidarité et du bonheur. Ils soutiennent ainsi la réflexion et tous ces petits gestes quotidiens qui rayonneront sur leur entourage.

Une fraction grandissante
Au niveau sociologique, il y a encore peu de données concernant ces citoyens qui tournent le dos au monde de la consommation. Les quelques recherches disponibles aujourd’hui font juste ressortir certaines caractéristiques sociodémographiques des «adeptes» de la simplicité volontaire, mais elles n’aident pas à connaître les aspects plus profonds de leur personnalité [Craig-Lees et Hill, 2002 ; Huneke, 2005 ; Zavestoski, 2002]. Ces travaux indiquent néanmoins que les individus adhérant à la SV sont surtout des baby-boomers majoritairement de race blanche et ayant un niveau d’éducation plus élevé que la moyenne [études de cycle supérieur]. Evidemment, ces recherches sont subjectives. Les chercheurs se contentent souvent de demander aux participants s’ils pratiquent la SV ou non, ce qui a comme résultat d’exclure des personnes la pratiquant sans le savoir, tout en incluant celles qui affirment la pratiquer sans vraiment le faire…
Difficile d’avoir des chiffres précis, mais on sait que l’enquête française réalisée par l’Association pour la Biodiversité Culturelle a mis en évidence 5 courants socioculturels dans la société : les créatifs culturels [17%] ; les altercréatifs [21%] qui ont la particularité de cumuler les mêmes valeurs que les créatifs culturels sans l’intérêt pour le développement personnel/spirituel et l’implication sociétale ; les protectionnistes inquiets [23%] ; les conservateurs modernes [20%] et les détachés septiques [18%]. Les valeurs partagées par les deux premiers groupes seraient à rapprocher de celles de la SV, mais seule une fraction inconnue de ces 38% vivrait partiellement ou de façon plus importante une forme de SV.



Simplicité volontaire & psychologie
Le psychiatre Erich Fromm, dans sa nomenclature des caractères [1947], nomme «caractère mercantile» le profil de fonctionnement décrit comme «l’orientation caractérielle qui prend racine dans l’expérience de soi et du monde envisagée comme marchandise et comme monnaie d’échange». En se basant sur ce concept, Saunders et Munro ont énoncé l’idée que l’un des moyens utilisés dans la société occidentale est de consommer ce qui est à la mode sans avoir vraiment de conviction sur l’utilité de ce qui est acheté. En possédant ce qu’il «doit» posséder, l’individu arrive à se rapprocher de ce qu’il «doit» être pour avancer dans la société dans laquelle il vit.
Dans ce contexte, la simplicité volontaire semble s’apparenter au concept clef de la psychologie humaniste : «l’actualisation de soi». Connue surtout par les écrits d’Abraham Maslow et de Carl Rogers, l’actualisation de soi est définie comme «l’utilisation et l’exploitation complète des talents, capacités et potentialités d’un individu». Maslow a ainsi développé une théorie des besoins humains structurés en une pyramide hiérarchique où les besoins physiologiques se situent à la base, suivis des besoins de sécurité, d’amour et d’appartenance, d’estime, puis, au sommet, le besoin d’actualisation de soi, décrit comme le besoin de l’individu de développer son potentiel inné. Dans l’une de ses recherches, Maslow a tenté de déterminer les caractéristiques typiques d’une personne «actualisée », on pourrait presque écrire «réalisée » : perception accrue de la réalité ; acceptation de soi, des autres et de la nature ; spontanéité et conscience du présent ; relations interpersonnelles plus riches et plus profondes ; différentiation entre moyens et fins ; etc... Or, les individus qui réduisent volontairement leur consommation prennent plus de temps pour eux-mêmes, sont plus à l’écoute de leurs véritables besoins, réussissent à résister à la conformité induite par les pressions extérieures et décident eux-mêmes ce qu’ils veulent faire de leur vie. Ils cheminent donc vers l’épanouissement de leur plein potentiel, dans le sens où Maslow le décrit. Une fois nos besoins de base comblés, la pratique de la SV pourrait donc être un moyen de se réaliser. Et, pour boucler la boucle, le besoin d’authenticité existentielle qui se trouve derrière l’actualisation de soi dans la pyramide de Maslow est justement le seul besoin ne pouvant être comblé d’aucune façon par la consommation de biens matériels !
Ainsi, l’adage qui dit que «plus on est sage, plus on est simple» serait inversement tout aussi vrai : «plus on est simple, plus on est sage» !



On l’aura compris, les tenants de la sobriété volontaire, qu’ils aient choisi de vivre simplement par conviction, sans référence au concept de SV, ou qu’ils aient opté pour ce choix après avoir été informés, accordent une très grande importance aux valeurs essentielles, c’est-à-dire aux valeurs de bienveillance pour soi et les autres, associées au dépassement et à l’accomplissement de soi. Bien que suivant un cheminement individuel, les «simplicitaires» ne sont pas détournés par le courant d’hyper-individualisme qui balaie la société. Ils témoignent avant tout de préoccupations plus collectives, altruistes et planétaires. En ce sens, la sobriété, lorsqu’elle est choisie, est potentiellement une porte d’accès vers le bonheur. D’ailleurs, quand on demande aux adeptes de la SV du monde entier ce que leur procure cet art de vivre, les réponses sont unanimes : équilibre, mieux-être, meilleure qualité de vie, harmonie et bonheur. Que demandez de plus... ?

Olivier Desurmont

Réseau Québecois pour la Simplicité Volontaire [RQSV] - http://simplicitevolontaire.info

Références : «La simplicité volontaire, plus que jamais…» de S. Mongeau chez Écosociété, «Les vraies richesses : pistes pour vivre plus simplement » de P. Pradervand chez Jouvence, «Simplicité volontaire» de G. Samson chez Quebecor, «La voie de la simplicité » de M.A. Burch chez Écosociété, «L’échelle de simplicité volontaire : une validation en français» de Dany Cordeau et Micheline Dubé, Les cahiers internationaux de psychologie sociale, «Vers la Sobriété Heureuse» de P. Rabhi chez Actes Sud et «J’achète ! Combattre l’épidémie de surconsommation », de J. De Graaf, D. Wann et T.H. Naylor aux Éditions Fides.



Paru dans l'Agenda Plus N° 238 de Juin 2012
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